dimanche 9 septembre 2012

De l'homo machinus à l'homo spiritualis

Il était une fois dans un monde si proche de nous qu'il en devenait effrayant. Dans ce monde vivait un humain qui se retournant sur lui-même prit conscience qu'il n'existait pas. Quelque chose se brisa en lui, comme si d'un seul coup sa réalité lui semblait décousue, sordide, froide et mécanique. Déambulant dans les rues d'une métropole dévoreuse d'espoir il commença à observer ses semblables. Leurs gestes fébriles, leurs réactions impulsives, leurs regards creux, des paroles hachées et disharmonieuses. Tout lui parut si grotesque, cynique, l'humain n'était pas seulement un animal social, mais il était devenu une machine organique dont la société poussait les boutons pour faire fonctionner un circuit neuronal ou l'autre. 


Il vivait dans un profond sommeil, une inconscience folle, il n'existait pas ou plus, car rien de réel, de conscient ne vibrait en lui. Qu'il puisse aller à l'église ou au supermarché rien de réel n'existait en lui, car tout dans la trame de sa vie était devenue mécanique, un amas de systèmes informatisés à entrée et sorti, 0 et 1, stimuli et réponse. La vérité de l'esclavage de l'humanité apparue si brutale à cet homme, qu'une question jaillit des tréfonds de son être : Mais comment avons-nous pu en arriver là ? Puis, comme l'on rembobine un film il fut projeté quelques décennies en arrière, à une époque que nous connaissons bien, à cette époque où il était encore possible d'exister réellement …

Cette introduction aurait pu être celle d'un livre de science fiction ou le synopsis d'un film, cependant, il apparaît un trouble présage dans l'histoire qui y est contée. Imaginons que ce récit se déroule dans un avenir proche, quelque part si près que quelque chose en nous refuserait de toutes ses forces ce tableau peu réjouissant. Or, si l'on s'intéresse au chemin intérieur avec passion nous ne pouvons dénier cette réalité qui commence à faire notre quotidien. Déjà Gurdjieff au début du 20 ème siècle énonçait le fait que l'humain est une machine et que rien en lui n'existe réellement, rien de permanent, de conscient. Tout étant soumis à l'impermanence, la confusion émotionnelle et mentale imposée par le milieu extérieur, le conditionnement éducatif, religieux, scientifique, etc. Dans l'introduction, notre personnage se pose la question : « mais comment avons-nous pu en arriver là ? » devons nous attendre son époque d'esclavage pour trouver nos réponses ? Je pense que dès à présent un constat peut être dressé.
Synthétiquement, nous pouvons observer l'histoire de ces derniers siècles et y observer lucidement les étapes de la robotisation progressive de l'humanité. Avant le siècle des lumières l'église dogmatique régnait d'une main de fer, elle imposait sa propre vision de l'âme humaine qui rapidement se vida de toutes les valeurs libératrices de son fondateur. Pourtant Paul de Tarse disait « la lettre tue et l'esprit vivifie » malgré quelques mystiques (souvent peu appréciés par l'ordre établi) la lettre fini par étrangler l'esprit. En réaction à cela émergea la révolution des lumières, l'apparition de la libre pensée et la jeune science prometteuse. Il s'opéra dans l'esprit humain un transfert d'un pôle de la dualité à l'autre. En fait, la religion dogmatique était devenue un matérialisme spirituel qui vint à être opposé à un matérialisme scientifique. L'un monopolisant le monde de l'esprit et l'autre celui de la matière, coupant ainsi l'humain en deux, avec son corps d'un côté et de l'autre une notion qui n'était qu'un concept d'esprit (ou conscience), mais que très peu vivaient. La science s'édifia en matérialisme afin de se séparer le plus possible des concepts de l'église. Pourtant il existait toujours des voies ésotériques qui unifiaient matière et esprit, science et spiritualité, mais elles furent durement réprimées par l'église et traité d'imposture selon les conceptions scientifiques. Il faut bien comprendre que l'ego, cette instance psychique mécanique, n'aime pas l'unité, il se nourrit de la division. Ainsi, la religion comme la science n'ayant pas d'esprit (de conscience supérieure) devinrent les progénitures de l'ego dualiste qui énonce : « ce qui n'est pas avec moi est contre moi. ». Un extrême en entraîne un autre, la voie du milieu, la voie de l'équilibre est difficile à comprendre et à vivre sans un enseignement spirituel adapté. Ironie du sort, les plus grands scientifiques comme les plus grands religieux étudièrent pour la plupart la science ésotérique et l'enseignement spirituel. Parfois, ils tentèrent de diffuser un peu de leur compréhension sous certains voiles avec plus ou moins de succès.
La dualité entre science et spiritualité perdura devant les succès technologique de la science qui gagna du terrain sur le champ religieux. On alimenta encore la dualité corps/esprit, davantage par vieux contentieux avec l'église que conviction réelle. La raison remplaça la foi, mais remplaça une foi qui n'était pas la foi authentique, c'est-à-dire la foi en un potentiel créateur en nous et non envers une idole anthropomorphisée, un papa dans le ciel. Ce type de foi est un produit de l'ego et la raison raisonnante est aussi un produit de l'ego, puisque l'intellect c'est l'ego qui pense. Dans tous les chemins spirituels ont met en garde contre la tyrannie de l'intellect qui est manipulé par l'ego pour se donner de l'importance. Hier l'église alimentait les craintes par le dogme en une foi dualiste, la science peu à peu renia son esprit de liberté des débuts pour imposer le dogme en la raison dualiste. Ego contre ego, voila pourquoi au fond la religion dualiste et la science dualiste ne comprennent pas vraiment le chemin spirituel qui est foncièrement non dualiste. La croyance est une perception dualiste, car c'est rechercher la vérité à l'extérieur de soi dans un concept, une idée de Vérité. La science est une perception dualiste, car c'est rechercher la vérité dans le savoir (s-avoir) extérieur à soi, la dualité consiste ainsi a ne jamais impliquer l'être dans la recherche. La spiritualité est non dualiste, c'est une voie de connaissance, la vérité est en soi et se recherche en soi, elle amène à transcender et inclure la dualité.
Par la suite, l'ère industrielle continua la mécanisation des esprits, par les rythmes effrénés des usines et du travail à la chaîne. Les guerres éclatèrent, la perte de sens et la montée d'une forme de nihilisme dessécha davantage l'âme humaine. Des idéologies matérialistes apparurent comme le communisme, mais terminèrent dans la même dualité qui l'avait fondée. La matière ne peut pas se transcender elle-même et croire que le seul bonheur réside en elle c'est se couper de la vérité intérieure, celle qui libère. Le communisme s'effondrant, le capitalisme remporta la victoire et progressivement s'imposa parce qu'il savait le mieux manipuler les aspects inférieurs de l'être humain. Du capitalisme naquit le consumérisme, la consommation de masse, l'illusion de croire que l'avoir peut remplacer l'être. Ce consumérisme utilisa l'idéologie matérialiste de la science et les systèmes informatiques pour amener l'humain à se définir comme une mécanique biologique qui pour atteindre le bonheur devait assouvir ses bas instincts, répondre à des stimuli. La religion ayant été balayée par les preuves rassurantes de la science (rassurante mais non libératrice) la science mêlée au consumérisme apporta un paradis instantané par la possession, le slogan devint : « J'ai, donc je suis » et plus j'ai et plus j'ai l'illusion de mieux être.
Pour parler au présent, cette synthèse historique nous permet de mieux situer la dégénérescence spirituelle. En fait plus l'humain évolua matériellement, technologiquement, et plus il dégénéra spirituellement. La technologie n'est pas à rejeter, mais comme le disait Rabelais : « Science sans conscience, n'est que ruine de l'âme. » au même titre que la lettre sans l'esprit mène à la même ruine sur le plan religieux. Une machine, un système informatique fonctionnent sur un mode dualiste, binaire, ce mode de fonctionnement est celui de l'ego, qui se nourrit des deux pôles attraction/répulsion. Dans cette logique binaire, ce qui est faux ne peut être vrai et inversement, or, dans le monde spirituel la logique est plutôt tétravalente, ouverte à tous les possibles. Ce mode de compréhension demande une grande subtilité et il faudra encore du temps pour qu'il se répande. Le fait que la technologie qui fonctionne en mode dualiste soit si présente dans notre quotidien amène l'humain à penser de manière dualiste. Nos métiers très techniques, mettent l'accent sur le raisonnement binaire et conditionnent notre rapport au monde et à nous même. Nous disions plus haut que pour les voies spirituelles l'humain n'existe pas encore, c'est-à-dire qu'il n'est qu'une machinerie biologique. Et c'est précisément par ce biais qu'il est manipulé par des systèmes dualistes qui alimentent son aspect mécanique en le stimulant. La publicité utilise les pulsions sexuelles, l'achat d'impulsion, elle fait croire à l'humain que son manque intérieur provient du fait qu'il manque d'objet extérieur. Pascal disait que « l'homme a dans le cœur un trou en forme de Dieu » Dieu ou la conscience, manque cruellement au cœur de l'humain. Et ce manque a été compris par les professionnels du marketing qui utilisent des techniques psychologiques manipulatoires. Hier la religion faisait miroiter un paradis demain là haut, le consumérisme fait miroiter un paradis ici bas mais là bas loin de soi. Fondamentalement il n'y a aucune différence en l'addiction de possession d'objet de consommation et l'addiction de croyance religieuse. C'est le même mouvement intérieur dualiste, ou l'ego se projette à l'extérieur par refus d'observer son illusion de l'intérieure. On a conditionné l'humain à lui faire croire qu'il n'était rien, que sans béquilles (la religion ou la science) il ne pouvait se tenir droit. C'est un emprisonnement qui ne date pas d'hier et qui a prit des formes différentes pour un fonctionnement identique, en mode duel.
Si l'humain est une machine organique, s'il est né machine, si tout ce qui le constitue n'est que le résultat de ce que son conditionnement a mis en lui, il existe pourtant une issue. Et cela commence par l'observation de nos propres fonctions mécaniques, démarrer une enquête minutieuse sur soi-même afin de déjouer les pièges de l'ego et progressivement ne plus être manipulable de l'extérieur. Si nous n'observons pas, si nous ne mettons pas de conscience au dedans, nous ne sommes pas libres, nous sommes réellement des machines. Tout ce qui nous constitue est dominé par nos sens et ces sens sont manipulés par les stimuli extérieurs. En ce sens le matérialisme a raison, c'est un fait, nous sommes des machines, mais il existe un chemin qui permet de dépasser la machine pour enfin devenir humain. Ce chemin a prit des formes différentes par le passé, mais son fond est le même. Qu'il soit d'orient ou d'occident son but est d'amener l'humain à prendre conscience qu'il n'existe pas encore et que par un chemin intérieur il peut arriver à ETRE réellement, authentiquement.
Au 21 ème siècle, après la déception des religions et des sciences matérialistes, nous est t-il possible (pour sortir de cette robotisation programmée) de faire éclore ensemble une Spiritualité Laïque ? C'est-à-dire un chemin intérieur universel qui soit libéré des formes culturelles du passé tout en puisant à la source de leur enseignement libérateur essentiel. Une voie qui réunirait enfin science et conscience pour pouvoir réunifier l'être humain, en faire un réel UN-dividu, indivisible. Une voie qui sur tous les aspects sociaux pourrait aller à l'essentiel des besoins humains par delà les divergences de forme. En effet, si les expressions de la vérité sont multiples, il existe un fond commun unique qui les sous-tend. Les conflits n'existent que dès que l'on oublie le fond pour ne voir que la forme. Ainsi l'on s'attache au doigt qui indique la lune en oubliant la lune. La Vérité est UNE et universelle, c'est-à-dire qu'elle s'offre à tous, mais elle n'est pas un dû non plus, elle ne peut être donné de l'extérieur aussi bien sous forme de croyance religieuse que de savoir scientifique. La Vérité se dé-couvre dans les profondeurs de l'être, co-naître, une seconde naissance après la mort de l'ancien, de l'animal mécanique. Je pense sincèrement qu'une spiritualité laïque constitue un réel espoir pour la future humanité, celle qui souhaite vraiment être humaine. Le chemin libérateur est un processus, comprendre ce processus et le vivre permet ensuite de créer des formes temporelles adaptées à notre époque. Il existait au sein des écoles initiatiques du passé le principe de contingence, ce principe indique que pour qu'un enseignement survive il se doit de s'adapter aux temps, aux lieux et aux êtres qui se présentent à lui. La spiritualité laïque se dévoile ainsi pour être une forme actuelle pour un enseignement libérateur intemporel. C'est d'une mutation totale de la conscience dont nous avons besoin pour impulser une renaissance de l'humanité, l'émergence d'une nouvelle espèce, l'homo spiritualis.
Article publié dans la revue 3ème millénaire n°89
par Michaël Abitbol

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