mercredi 5 septembre 2012

Expérimentation animale : tout sauf scientifique !



 
 Un nouveau témoignage d’un médecin britannique le confirme : expérimenter sur des animaux ne permet pas de trouver des remèdes pour l’homme. Cette pratique persiste surtout car elle est très lucrative et permet de “publier”. Dans l’intérêt de notre santé, nous devrions cesser de sacrifier des animaux et nous tourner tout d’abord vers une bonne hygiène de vie.

Martin Ashby


 
Le Dr Martin Ashby a obtenu son doctorat de médecine à la University College London Medical School, après avoir obtenu un diplôme en psychologie. Il s’est formé à la médecine générale. Il a ensuite été le médecin-chef d’un service de soins de base pour des sans abri dans le nord de Londres. Trois ans plus tard, il a repris l’exercice de la médecine générale tout en travaillant dans une unité de sevrage alcoolique et de désintoxication dans le sud de Londres. Il a passé quatre ans à se former à la médecine palliative et il a travaillé comme consultant en médecine palliative dans un hospice de la côte sud de Grande Bretagne.
Pour faire carrière en recherche scientifique, il faut que les expériences menées en laboratoire soient publiées dans des périodiques à comité de lecture. Plus il est l’auteur de telles publications et plus un chercheur est reconnu dans son domaine. Quel que soit l’intérêt réel de l’expérience ! Dans l’interview que nous vous présentons ce trimestre, un navrant exemple de cet immense obstacle à l’abolition de l’expérimentation animale. Et des réflexions d’un médecin plein d’humanisme et de bon sens.
Antidote Europe (AE) : A quel moment au cours de vos études de médecine avez-vous commencé à remettre en question la validité des “modèles animaux” pour la médecine humaine ?
Martin Ashby (MA) : Pendant ma formation à l‘école de médecine, nous devions faire des expériences sur des cuisses de grenouille et sur des coeurs de lapin. Ces expériences faisaient partie du module de physiologie humaine. Plusieurs collègues et moi-même avons pris part à l’expérience sur des cuisses de grenouille, soit des études de la conduction nerveuse sur des cuisses sectionnées de grenouilles tuées juste avant. Comme nous étions plusieurs à penser que nous n’avions rien appris, nous avons refusé de participer aux expériences sur les coeurs de lapin, prévues quelques semaines plus tard. On nous disait que ces expériences étaient une partie “essentielle” de notre formation et de notre compréhension de la physiologie du système nerveux et du coeur humain. Si nous tentions d’en débattre, certains physiologistes devenaient très intransigeants, voire intimidants, et même certains collègues médecins étaient, tristement, tout aussi fermés au dialogue et accrochés à leur statut de “patrons”. Mon espoir que l’université enseigne à penser et à questionner était menacé. Pour moi, la science devait être une constante remise en question du dogme mais elle commençait à m’apparaître comme un groupe quasi religieux !
Deux ans plus tard, j’ai appris que ces expériences avaient été supprimés du cursus, preuve qu’elles n‘étaient nullement “essentielles” pour notre formation. Je me suis demandé quelles autres expériences sur des animaux avaient été faites dans les cursus antérieurs sans être davantage “essentielles”. C’est ainsi que j’ai commencé à me poser des questions. Cette expérience m’a appris beaucoup. La médecine est souvent une corporation très conservatrice. Quiconque remet en question le savoir acquis peut susciter la résistance et le ridicule. En gros, nous devions nous couler dans le moule du candidat idéal. C’est un triste état des choses. A partir de ce moment, quand on me disait qu’une expérimentation animale était essentielle, j’avais appris à remettre en question cette affirmation.
AE : Quelle est votre opinion actuelle sur l’expérimentation animale ?
MA : Je me suis mis à lire les argumentations pro et anti-vivisection. A l‘époque, la plupart des organisations anti-vivisection discutaient du fondement éthique des expériences sur des animaux et les pro-vivisection disaient à quel point la recherche sur des animaux serait essentielle, en utilisant des arguments émotionnels allant jusqu‘à : “Faut-il tester un médicament sur un chien ou sur votre bébé ?”
Toutefois, j’ai bientôt été intéressé de découvrir qu’il y a de plus en plus de médecins et de scientifiques qui mettent en question la pertinence et la fiabilité des expériences sur des animaux pris comme modèles de maladies humaines. J’ai tenté d’en rencontrer certains. Beaucoup ne voulaient pas parler de peur de représailles sur leurs carrières. J’ai lu des livres du Dr Ray Greek, du Pr Pietro Croce, entre autres. J’ai ainsi commencé à apprendre qu’il y a de nombreux exemples (que je ne listerai pas ici) où les expériences sur des animaux ne prédisent pas les réactions chez l’homme. Mon opinion s’est ainsi faite. Tester un médicament ou un traitement sur un animal dans le but de vérifier s’il est sûr et efficace pour l’homme n’est pas de la science. Au mieux, lorsqu’un résultat a été prédit sur un modèle animal, ceci n’a été que pure coïncidence et non le résultat d’un processus scientifique.
Outre les différences physiologiques, la complexité des réactions humaines et les interactions entre un état pathologique et la santé psychologique et sociale ne doivent jamais être minimisées. Dans mon domaine, la médecine palliative, une grande partie de mon travail consiste à traiter les patients pour la douleur. Je suis toujours frappé de constater comment des maladies presque identiques peuvent causer des douleurs terribles chez certains patients et pas de symptômes chez d’autres. Les médicaments peuvent soulager certains de façon étonnante et causer des effets secondaires intolérables chez d’autres. C’est d’une naïveté consternante de penser que tester un médicament anti-douleur sur une espèce animale différente avec un modèle artificiel de douleur, par exemple en asseyant un animal sur une plaque chaude dans l’environnement stérile d’un laboratoire, puisse être utile pour prédire les réactions chez des patients atteints de cancer ou autres maladies. A mon avis, les expériences sur des animaux pris comme modèles de maladies humaines, ne sont pas de la science.
AE : Quelle est votre opinion sur la recherche fondamentale (c’est-à-dire faite par simple curiosité intellectuelle) impliquant des animaux vivants ?
MA : J’ai autrefois entendu un collègue dire, à l‘école de médecine : “Faites une piqûre à un rat et il en sort une publication”. Je m’en rappellerai toujours.
Mon opinion reste la même. La recherche sur des animaux pour trouver des traitements pour l’homme n’est pas une façon d’avancer.
Pour vous écrire mes réponses, j’ai fait un petit test. J’ai cherché dans la base de données biomédicales Medline les articles traitant de la Gabapentine, un médicament fréquemment utilisé contre la douleur. La Gabapentine a été mise sur le marché en 1993. Il est avéré qu’elle fonctionne souvent très bien en combinaison avec des opiacés dans le traitement de certains types de douleur. Les ventes ont été énormes et des centaines de milliers de patients ont pris ce médicament au Royaume Uni. En dépit de toutes ces données disponibles sur les réactions humaines, j’ai quand même trouvé une étude publiée en 2012 dans laquelle des souris ont été placées sur des plaques chaudes pour évaluer les effets anti-douleur de la Gabapentine en combinaison avec des opiacés. Cette étude a été publiée seulement trois semaines avant que je ne rédige ces lignes, près de vingt ans après la mise sur le marché du médicament. Pourquoi ? Si nous le voulions, nous pourrions avoir beaucoup de données obtenues sur des humains dans des situations réelles avec des pathologies réelles qui provoquent de la douleur. Pour moi, ce petit test en dit long. J’entends résonner fort et clair ce que disait ce collègue à l‘école de médecine.
AE : Si vous étiez nommé ministre de la Santé, quelles seraient vos priorités pour améliorer la santé publique ?
MA : C’est une question intéressante. Ma réponse serait qu’une grande influence sur notre santé vient non du ministère de la Santé mais de nos liens confortables avec l’industrie des aliments et des boissons et avec ses lobbyistes. Ces relations et influences ressemblent à ce qui s’est passé avec l’industrie du tabac. Voir des maternités sponsorisées par des géants du fast-food me donne des frissons.
Nous constatons des taux de plus en plus forts d’obésité, d’hypertension, de diabète de type 2 et leurs cortèges de maladies associées.
Cela dit, en matière de santé, il me semble que l’on donne trop d’importance à la mise au point de nouveaux médicaments. Je ne suis pas contre la découverte de nouveaux médicaments. Mais il se passe rarement une semaine sans que je voie des patients qui se sentent laissés pour compte par le système actuel de santé en raison d’un manque de soins basiques, de communication et de dignité. Ce n’est pas rare de voir des patients qui reçoivent des médicaments coûtant des milliers de livres par mois et privés d’une nutrition adéquate, d’une bonne hydratation et de soins de base. Quelque chose ne tourne pas rond. Un manque criant de soins de base à l’hôpital de North Staffordshire a été récemment porté à la connaissance du public. Il a été constaté dans cet établissement, entre autres, que des patients avaient été laissés sur des lits souillés, d’autres contraints de boire l’eau des vases à fleurs faute d’accès à l’eau potable sous le regard atterré de leurs parents. Voilà un exemple embarrassant de ce qui est souvent inadéquat dans notre service de santé.
AE : Merci beaucoup pour le temps que vous avez consacré à cette interview. Y a-t-il d’autres commentaires que vous souhaiteriez ajouter ?
MA : Bien que les expériences sur des animaux pour tester des cosmétiques ou des produits d’entretien aient pu être abolies grâce à la pression publique seule, je pense que les expériences médicales sur des animaux seront difficiles à abolir tant que les professionnels de santé resteront en dehors du débat.
Malheureusement, beaucoup d’intérêts financiers et de carrières reposent sur l’expérimentation animale. Il y a beaucoup d’intimidation et de conservatisme. Si les communautés scientifique et médicale continuent à remettre en question la validité des “modèles animaux” en tant que modèles de maladies humaines, la profession commencera à les rejeter.
Voilà pourquoi il est si important que des organisations comme Antidote Europe poursuivent leurs campagnes et je vous souhaite la meilleure des chances pour atteindre vos objectifs.

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